Le dolmen du Cher Arpent, un exemple du mégalithisme de l’ancienne Seine-et-Oise
Le 5 février 1878, Isidore Lecointe, un vigneron local, travaillait sur ses terres du Cher Arpent, à L’Étang-la-Ville (Yvelines, ancienne Seine-et-Oise), lorsqu’il mit au jour un important complexe mégalithique. M. Foulot, un administré, relate les circonstances de cette découverte lors d’une entrevue avec Gaston de Pellerin de Latouche, maire de la commune, le 31 mars 1902 : « C’est en arrachant des plants de vigne dans sa pièce de terre située lieudit « le cher arpent » […] que le Sr Lecointe, cultivateur, rencontra avec sa pioche une grosse pierre […]. Sa surprise fut grande en constatant que cette pierre placée en longueur dans le sens de la longueur de la parcelle de terre mesurait plusieurs mètres et recouvrait d’autres grosses pierres relativement plates, celles-ci placées perpendiculairement dans le sol. Lecointe fit part de sa trouvaille dans le village. »
Le jour même, l’historien local Adrien Maquet informa son collègue Paul Guégan, membre de la Société des sciences morales et des arts de Seine-et-Oise, de la découverte. Ce dernier se rendit sur place le lendemain afin de procéder aux premières fouilles. Son opuscule intitulé Découverte d’un dolmen à L’Étang-la-Ville, au lieu dit le Cher Arpent est publié la même année. D’après les relevés effectués par Guégan, le dolmen était orienté nord-ouest/sud-est et son entrée était localisée dans la partie sud-est. Il était composé de dalles de calcaire provenant soit de Saint-Nom-la-Bretêche (à environ 5 km) soit d’une carrière voisine dite « des Jumelles » ou « de la Mare aux Jumelles » (à environ 1 km).
L’ensemble mesurait 18 m de long, 2 m de large et atteignait une profondeur de 1,6 m. Le plan au sol qu’il en dressa (Fig. 1) montre un espace intérieur divisé en quatre chambres. Les trois premières chambres (D, C et B) furent fouillées les 7 et 8 février 1878. La chambre D renfermait des gaines de haches en corne de cerf (Fig.2), des poinçons en os (Fig. 3), des haches polies ainsi que de nombreux silex taillés ; les chambres C et B révélèrent, quant à elles, la présence de nombreux ossements humains, dont plusieurs crânes (la plupart de ces objets sont en dépôt au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye).
Parallèlement à ses fouilles menées sur le terrain, Paul Guégan entra en contact avec Alexandre Bertrand et Gabriel de Mortillet, conservateurs au musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye. Abel Maître, chef des ateliers du musée, fut chargé de poursuivre les recherches entamées par Guégan. La chambre du fond (A) était fermée par un gros bloc de pierre percé d’un trou permettant le passage d’un homme. Elle fut intégralement déblayée le 26 février et permit de mettre au jour neuf crânes humains disposés en demi-cercle qui furent à l’origine du nom « chambre du conseil », attribué à l’emplacement de leur découverte. Ces crânes étaient associés à plusieurs os longs, notamment des fémurs et des tibias. D’après la disposition des crânes, il est possible que les individus aient été inhumés simultanément en position assise ou accroupie. Selon les descriptions, ces restes osseux arboraient une teinte brune et étaient très friables, contrairement aux ossements jaunâtres et résistants des autres chambres. Paul Guégan releva pourtant une caractéristique partagée par ces crânes, à savoir le bon état sanitaire de leurs dents, très peu cariées. L’un des crânes attira tout particulièrement son attention (Fig. 4) : « Un crâne que je pris dans mes mains m’apprit cependant quelque chose : il portait, sur le pariétal gauche, une affreuse blessure ; un coup de hache de pierre, bien coupante sans doute, car l’os avait un trou ; et tout autour on apercevait une entaille qui avait diminué de moitié l’épaisseur de la boîte osseuse ; mais l’homme n’était pas mort sur le coup, car un calus osseux au-dessus de la blessure attestait qu’il avait dû survivre encore quelque temps. » Si Guégan pensait que la lésion était due à un coup de hache, Gabriel de Mortillet démontra qu’il s’agissait plutôt d’une trépanation, lors de la séance de la Société d’anthropologie du 6 mai 1878. Les deux relevés en plan de Paul Guégan et d’Abel Maître (Fig. 5) confirment la présence d’un orthostate tombé dans la partie nord du monument, ayant écrasé une partie des ossements de la chambre A, expliquant ainsi leur état très dégradé. En 1878, Guégan affirmait que le dolmen avait contenu les restes de plus de cinquante individus des deux sexes et de tous âges, « depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse ». En 1880, il revit le chiffre à la hausse, en estimant le nombre minimum d’individus à cent cinquante.
Les fouilles entreprises par Guégan puis par Maître ont permis d’endiguer la détérioration du site archéologique initiée par son inventeur, Isidore Lecointe (Fig. 6 et Fig. 7). Toujours d’après le récit de M. Foulot : « [Monsieur] Chevalier, maçon qui recherchait les grosses pierres, et des voisins se rendirent au Cher Arpent et après quelques heures de travail, apparaissait le dolmen dans son ensemble de surface […]. Lecointe, persuadé qu’il allait trouver un trésor, se mit à fouiller avec acharnement. […] toujours pour chercher le trésor, Lecointe renversait les pierres, les brisait, il bouleversa toute la partie de son champ occupée par le dolmen. Le maçon Chevalier acheta les pierres, les débita sur place. Il fit quatorze marches d’escalier avec la grosse pierre du dessus qui avait été découverte la première. » Ainsi, de nombreuses parties du monument furent endommagées le jour-même de sa découverte et plusieurs objets furent vendus à des curieux.
En 1901, le Cher Arpent fut annexé au parc du château de L’Étang-la-Ville et le mur du parc communiquant avec le dolmen fut démoli l’année suivante. Gaston de Pellerin de Latouche, alors maire de la commune, entreprit l’examen du contexte du monument, comme le confirme une note écrite de sa main datant du 1er avril 1902 : « Je vais de mon côté surveiller la démolition du mur et faire examiner la terre et les abords avec soin : je ferai plus tard, sans doute, quelques fouilles à l’emplacement même du dolmen actuellement facile à reconnaître à la dépression du sol, et aux alentours. ». Ces fouilles furent menées deux ans plus tard, en juillet et août 1904. Elles permirent la mise au jour d’une fosse de 1 m3 remplie d’ossements humains, accompagnés de plusieurs silex dont deux pointes de haches. Lorsque de Pellerin de Latouche acquit le Cher Arpent, le dolmen était en très mauvais état, plusieurs pierres ayant été brisées ou enlevées. Avec les débris de l’ancien monument, il fit construire un nouveau mégalithe à une courte distance de l’emplacement originel. Désormais, ses dimensions étaient moitié moindres que celles de l’ancien, comme en attestent les plans d’après les relevés exécutés par Adrien de Mortillet (fils de Gabriel de Mortillet et professeur à l’Ecole d’Anthropologie de Paris), le 19 avril 1914 (Fig. 8) : la galerie avait une longueur totale de 8,15 m (elle n’était garnie de supports que sur 5,33 m d’un côté et sur 4,38 m de l’autre ; trois tables, faites avec des fragments d’anciens supports, recouvraient la chambre). Gaston de Pellerin de Latouche participa activement à faire reconnaître l’importance scientifique de l’allée couverte à travers ses échanges épistolaires avec les grandes figures scientifiques du début du XXe siècle, notamment avec Adrien de Mortillet puis Joseph Déchelette, conservateur du musée des beaux-arts et d’archéologie de Roanne (Fig. 9 et Fig. 10).
Le dolmen du Cher Arpent appartient aujourd’hui à la copropriété du « Clos des Vignes » qui en assure la conservation et la valorisation (Fig. 11). De nouvelles fouilles ont été entreprises en 2017 par le Service archéologique interdépartemental des Yvelines et des Hauts-de-Seine. Elles ont permis de révéler plusieurs phases d’occupation allant du Paléolithique supérieur (-36 000 à -10 000) à l’époque contemporaine.
Le dolmen du Cher Arpent n’est pas la seule découverte archéologique faite sur le territoire de L’Étang-la-Ville au cours du XIXe siècle. Le 20 février 1868, un certain Julien Filliette exhuma une hache, en association avec un menhir (Fig. 12) : « Dans une terre franche un peu friable, sous un des plus vieux châtaigniers de la partie du territoire de L’Étang-la-Ville, appelée La Haute Pierre, près de Chevaudeau, fut trouvée […] une hache en silex d’origine celtique, d’une belle forme oblongue, au tranchant bien marqué mesurant 19 cm de longueur […]. La Pierre Haute ou pierre levée était un ancien dolmen des druides ou pierre de sacrifice […]. » Le monument dont il est question mesurait 2,5 m de haut et était situé à la lisière de la forêt de Marly, à environ 1,5 km au sud-ouest du dolmen du Cher Arpent (Fig. 13).
Aujourd’hui disparu, il est indiqué sur un ancien plan de la commune conservé en mairie qui fut dressé en 1702 par Nicolas Matis, arpenteur de Louis XIV (Fig. 14). L’allée couverte du Cher Arpent et le menhir de la Haute Pierre attestent une forte présence humaine dès le Néolithique qui eut à cœur de modeler son paysage à travers le mégalithisme. Dès lors, ces vestiges se posent comme des témoignages millénaires des anciennes traditions païennes.
© Archives municipales. Article rédigé par Evan Astier, archiviste auprès du CIG.